Villa Les Figuiers à Triel-sur-Seine
Il m'est difficile de présenter ici la belle histoire des rencontres de Mirbeau et "Ades et Josipovici", puisque prochainement l'historienne qui nous a présenté la maison d'Albert Ades à Triel sur Seine, doit faire paraître en Italie (mais en Français) le fruit de ses recherches. J'y reviendrai donc.
Comme suite à la rencontre avec Elena Fornero Sandrone *(1) lors de la journée de la SOM (Société Octave Mirbeau) où nous avons parlé des circonstances de l'écriture du livre "Goha le Simple", et de l'édition illustrée par Mariette Lydis en 1926, je me suis replongé sur mes exemplaires, les dédicaces et les documents de Mariette associés.
L'édition de 1926 fut produite en deux volumes par le libraire éditeur Doyon *(2) -41 ans- aux éditions de "La Connaissance", ce fut la première édition à Paris de Mariette. Les gravures étaient "rehaussées" à la gouache blanche. Sur 1000 exemplaires une série de 100 fut réservée aux "Médecins bibliophiles".
Texte de Mariette Lydis, sur ses souvenirs dans la mise au clair qu'elle a effectuée à Buenos Aires. Les élèves m'ont raconté des séances de pose, lorsque Mariette qui, pour mieux connaître ses modèles, aimait dialoguer et pour cela aussi leur parler de sa vie d'avant: en Grèce, au Maroc, à Florence, à Vienne ou comme ici à Paris. (2 pages sur pelure, seconde avec corrections manuscrites)
Petites Aventures parisiennes sans conséquences.
O Paris! .... Ton atmosphère, ta vibration, ta couleur, ta variété, ta lumière, ta culture, les contacts humains, si variés, en général si vivifiants, si stimulants, surtout pour le peintre..
O Paris inoubliable.. Être de Paris est un titre de noblesse. Paris, pourtant, a aussi ses revers, pour celle ou celui qui n'y est pas né, qui n'y est pas habitué, au début surtout combien de propos vous laissent rêveuse pour leur hardiesse, leur manque total de pudeur. A Paris on peut tout dire, tout entendre.
Je ne m'y suis jamais habitué.
Les taxis dans lesquels on me raccompagnait la nuit étaient pleins d'embûches et vous réservaient maintes surprises - toutes désagréables.
J'avais vite fait de m'apercevoir que les hommes qui vous demandaient vous accompagner comptaient sur un développement toujours le même, comme conséquence. Une femme se trouvait devant cette alternative: rentrer seule en taxi dans Paris nocturne et avoir des éventuelles rencontres ou risquer une fois de plus de se laisser accompagner?...
Peut-être que quand même une fois il se pourrait qu'on se trouve avec un monsieur qui ne se met pas , à peine en route, de vouloir vous embrasser? - Enfin toutes mes expériences dans cette direction sauf une ont été désastreuses. Il y avait à se défendre, en riant pour ne pas avoir l'air d'une pimbêche ou d'une moraliste, je ne suis ni l'un ni l'autre - Aussi de défendre sa pudeur a toujours quelque chose d'un peu ridicule. Donc, après quelques essais, le monsieur vous dévisageait, désapprobateur, étonné: pourquoi, grand Dieu, ne veut-elle pas?
Non, elle ne voulait pas ---
Un soir il y avait un banquet en mon honneur chez Casenave, rue Boissis d'Anglas *(3). Je venais de terminer ma première illustration parisienne, le livre de Goha le Simple, pour Doyon, la Connaissance, le menu du diner avait été dessiné par moi, il y avait une trentaine de bibliophiles qui m'invitaient, j'étais la seule femme avec tous ces hommes.
On m'attendait à la porte et deux des messieurs me portaient à travers les dîneurs étonnés à la salle réservée aux banquets. Dîner succulent, bons vins, des toasts, une conversation cultivée et scintillante. Je m'amusais beaucoup. Un peu après minuit on décidait d'aller dans une boite de nuit où l'orchestre avait été réservé pour nous et je repars avec tous ces hommes très gaie, très en train. Déjà pendant le dîner D., qui était mon voisin de table, avait commencé à me dire qu'il était amoureux de moi depuis le premier jour qu'il m'avait approché, qu'il ne pensait qu'à moi, et que j'étais en quelque sorte responsable pour une dépression nerveuse qui s'était emparée de lui et son manque de goût pour sa femme. J'écoutais tout cela en riant, sans y donner de l'importance, en prenant toutes ces déclarations comme autant de blagues, pour rire. Mais un peu plus tard je commençais à réfléchir avec anxiété aux conséquences immédiates, le retour de la fête. Le coté amoureux de D. ne m’intéressait tellement pas qu'il m'était pénible même d'être obligée à penser qu'il possédait des ambitions dans cette direction. J'essayais de le diriger dans une autre direction, à le faire oublier un peu de terrain, mais rien à faire, comme les enfants butés ou les ivrognes il ne démordait pas. C'était lui qui était venu me chercher, il était entendu que c'était lui qui me reconduirait en voiture ...
J'y pensais avec une inquiétude grandissante en le voyant noyer ses préoccupations dans le champagne. Je dansais beaucoup, l'heure avançait, je ne pouvais me décider de donner le signal du départ...
En ce moment, un homme que je ne connaissais que depuis ce même soir, s'approche de moi et me dit "Mariette Lydis, me permettez-vous de vous reconduire? Je crois que vous devez-être fatiguée..." Oui, O oui, avec plaisir et je me presse de disparaître avant que D. me découvre. Nous montons dans sa voiture et il me dit "je comprenais que vous étiez préoccupée et c'est cela la raison pourquoi je me suis permis de vous proposer de vous reconduire". Nous roulons pendant un temps assez long pendant lequel cet homme n'essaye pas de me prendre la main, ne s'approche d'aucune façon. Je lui en garderai un souvenir éternel,ému et reconnaissant.
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*1/ On retrouve sur le site de l'association de l'histoire de Triel (page 18) en plus d'une plaquette du texte de la conférence donnée en 2017.
*2/ du site de l'IMEC: Notice historique/biographique : René-Louis Doyon dit ‘le Mandarin’, né à Blida en 1885, commença sa carrière de libraire chez Eugène Figuière avant d’ouvrir sa propre librairie en 1917, à l’enseigne de La Connaissance, titre qu’il reprit pour la maison d’édition qu’il fonda en 1918 et pour la revue qu’il créa en 1920. Après 1923, cette revue prit le nom de Livrets du Mandarin. Il publia la première nouvelle de Jouhandeau (Mademoiselle Zéline, 1924) et les premiers textes d’André Malraux. Robert Denoël racheta son fonds en 1937 et distribua les livres de La Connaissance avant de se séparer de lui en 1938. Il est l’auteur de quatre romans, dont L’Enfant prodigue (1929) et Ombres dans la cathédrale (1935), d’études sur Isabelle Eberhardt (1923), Barbey d’Aurevilly (1934), Jehan Rictus (1943), Joséphin Péladan (1946), d’une édition critique du Port-Royal de Sainte-Beuve (1926-1932) et d’un livre de souvenirs, Mémoire d’homme, souvenirs irréguliers d’un écrivain qui ne l’est pas moins (1953). En 1956, André Malraux lui remit le prix des Bouquinistes. Il est mort dans la misère la plus complète, en 1966.
La librairie La Connaissance est d'abord installée en 1917 au 9 dans la Galerie de La Madeleine, comme l'indique une édition Du Bellay de 1926 (passage au 30 de la rue Boissy-d'Anglas). Puis Doyon, en difficultés financières, a déplacé la maison d'édition 2, impasse Guéménée derrière la place des Vosges, à deux pas derrière la rue des Tournelles où s'installent Govone et Tallone dans les murs de Darantière.
*3/ Jean Casenave issu d'une famille modeste du Béarn (Lasseube), d'abord marchand de vin à Paris avait fait fortune en créant un premier restaurant au 11 rue Saint Anne. Le 10 avril 1925 il s'installait près de la Madeleine au 39 rue Boissy-d'Anglas. Ses relations étaient florissantes en particulier avec son voisin libraire et éditeur René Doyon situé au 30 dans le passage de la Madeleine. Les célébrités du monde politique ou littéraire avaient leurs habitudes dans ce restaurant, dans ses mémoires Maurice Martin du Gard se souvient y avoir rencontré Jean Giraudoux et Abel Hermant le 30 juillet 1934. Une sœur de Jean Casenave, Françoise avait épousé un certain Louis-Théodore Lyon qui fut en 1938 au cœur d'une affaire de trafic de drogue qui eut dans la presse un écho considérable. On retrouve l'activité du restaurant encore en 1950 sous son nom bien que Jean Casenave soit décédé brusquement en janvier 1932, et le restaurant hérité par son beau-frère Louis Lyon qui en confiât l'exploitation au frère de Jean, Victor Casenave jusqu'aux interpellations de juin 1938. Le scandale fut déclenché en mai 1935 lors de l'explosion d'un laboratoire clandestin au 220 Faubourg Saint Honoré. Mais c'est le procès commencé le 25 mai 1939, à la veille de la guerre qui fit sensation à la suite de l'enquête menée par le juge d'instruction Thévenin. Maurice Garçon défendait Lyon, en remplacement de l'ancien avocat et député de Paris Lionel de Tastes écarté pour corruption en 1938, Marcel Ceccaldi et Vincent de Moro-Gaffieri célèbre pour ses défenses de Caillaux et Landru, étaient auprès d'un complice Perretti, Maître Jacques Isorni représentait l'ordre des Pharmaciens, etc.
Biographie par un libraire de Blaive (Belgique).
- René-Louis Doyon dit « le Mandarin, dit aussi le Cyclope, dit Quéqué par ses intimes », est né le 2 novembre 1885 à Blida (Algérie). Il commença sa carrière de libraire chez Eugène Figuière en 1913 avant d’ouvrir une librairie, galerie de la Madeleine, qu’il transforme ensuite en maison d’édition en 1918. Ses livres, bien imprimés et souvent illustrés, sont accompagnés de notes critiques de l’éditeur qui est un homme de grande culture.
- En 1920, il fonde une revue, « LA CONNAISSANCE », où il peut démontrer sa grande érudition et son caractère entier et batailleur. Sa devise « On se lasse de tout, excepté de connaitre », pour n’être plus à la mode, est encore d’actualité.
- De 1923 jusqu’en 1963, il rédigea entièrement seul, ses périodiques : « LES LIVRETS DU MANDARIN ». Six séries seront édités de façon irrégulière et à très peu d’exemplaires (une centaine).
- Il travaillera avec les meilleurs typographes de son temps (Audin, Coulouma, Nypels)
(L'Art libre n° 15, novembre 1920, p. 208) :
« Malgré les difficultés matérielles qui prennent à la gorge une revue jeune s'acharnant à paraître sur cent pages. « La Connaissance » accomplit son programme, avec sérénité. René-Louis Doyon, son directeur, n'a pas hésité à sacrifier pour la tenir en vie, tous les bénéfices réalisés par les « éditions de la Connaissance » (L'Art libre n° 15, novembre 1920, p. 208)
- Il est le premier à ouvrir ses colonnes à André MALRAUX, qui publie ses premiers textes : petits essais de théorie littéraire.
(Message d'affection envoyé par Florence Malraux au découvreur de son père, à l’occasion de la journée commémorative du 9 septembre 2015) :
« Je suis heureuse de cet hommage rendu à René Louis Doyon, homme singulier et si talentueux dont j’ai toujours entendu parler avec la plus grande affection. Avec reconnaissance aussi. Il fut l’un des premiers, le premier peut être, à reconnaître André Malraux, mon père, lorsqu’il avait à peine 18 ans, à croire en lui, à publier ses écrits dans sa revue littéraire. Aujourd’hui, je suis près de vous, je vous tiens la main et le cœur. »
- A partir de 1933 : sa maison décline, Doyon assisté un temps par son ami bibliophile Paul Marteau, vit difficilement tout en continuant à publier, seul, LES LIVRETS DU MANDARIN
- En 1966 : Il meurt, après une chute, dans la misère la plus complète.
René-Louis Doyon fut un extravagant lettré. Éditeur failli, critique mordant mais érudit, il laisse une œuvre dont le style chantourné est inoubliable
Chronique nécrologique du monde (Jules Roy).
*4/ Ce dîner eut lieu le 4 février 1927, organisé par "Les Amis de la Connaissance". Une gravure en couleurs représente un livre illustré ouvert posé sur une table près d'un compotier garni de fruits, signée Mariette Lydis 1924. Représentation adaptée au personnage de Doyon qui avait peut-être été attiré par Mariette si cette gravure avait été à l'origine de leur rencontre. Dans les vins on relève: Château Latour 1913, Lanson 1918...
Mon exemplaire du menu, soigneusement imprimé par l'atelier de Charles Nypels complice de Doyon est l'un de celui des participants accompagné du discours reproduit à 100 exemplaires (n86).