Je m'occupais à penser ainsi par divertissement et par oisiveté, car il est amusant de mêler au plaisir d'un voyage des pensées vaines et inutiles. J'avais quitté Paris pour prendre quelques jours de repos. La France est vraiment un pays charmant à parcourir. On y est sûr, à chaque pas, de paysages délicieux ou beaux. Il est rare aussi qu'une de nos villes ne contienne quelque monument curieux, quelque débris d'histoire qui fasse rêver. Que de rencontres agréables pour qui voyage! Ce fut ainsi que je me trouvai un matin dans la petite cité bretonne de Vitré, au milieu de ses maisons baroques et biscornues qui dégringolent ses rues en pentes, et ce fut là que me vint à l'esprit le souvenir d'une dame du temps passé qui fut, de son temps, une grande écriveuse de lettres et qui y gagna d'être un grand écrivain.
Ce vieil usage avait du bon puisqu'il lui valut l'immortalité sans qu'elle y prit garde et puisqu'il nous a conservé, de quelqu'un qui n'est plus depuis deux cents ans, une image assez forte et assez nette pour que nous la voyions encore vivre en notre mémoire, surtout quand nous y aide quelque circonstance. On ne peut guère passer par Vitré, en effet, sans penser à cette belle et honnête Mme de Sévigné, qui y séjourna à plusieurs reprises et qui data de son château des Rochers, voisin de là, quelques-unes de ces lettres, parvenues à nous, comme pour nous montrer ce qu'était cet art d'écrire auquel les femmes renonceront les dernières ou seront les premières à revenir.
La route qui mène de Vitré au château des Rochers est unie et douce. Certes, elle n'a plus rien des mauvais chemins d'autrefois, où se hasardait Mme de Sévigné pour se rendre à sa solitude de Bretagne. Les grands carrosses de jadis ne risqueraient plus de s'embourber aux ornières. L'antique guimbarde qui me conduit ferait pauvre mine à coté de l'ample attelage qui amenait le bon M. de Coulanges tenir compagnie à sa nièce, mais elle va tout de même au trot de son cheval maigre. La campagne est verte, saine et tranquille. L'horizon est gracieux et modéré. On longe des haies et voici les arbres d'un parc. Une terrasse domine la route qui tourne ebn contre-bas. Une large pelouse d'herbe brûlée par le soleil s'étend; au bout se dresse, parmi de beaux arbres qui l'ombragent, une vieille demeure de pierre grise. Ses hauts toits bleuissent d'ardoises. L'aspect du lieu est calme, grave, et de bon accueil. Les tourelles du château ont un air pacifique. Le corps du logis est assez vaste. C'est une solitude, mais une solitude agréable, juste ce qu'il fallait à l'aimable femme qu'y s'y retireait, non par goût, mais par devoir, à des temps prévus et réglés, pour y mettre de l'ordre dans ses comptes, vérifier l'état de ses terres, respirer à l'aise, soigner son corps, lire, se promener, écrire des lettres et prier Dieu.
La chapelle touche le château. C'est une grosse tour, ronde et basse, au toit bossué. Le tableau d'autel porte les armoiries familiales. Le meuble de l'oratoire est simple. On n'entend d'autre bruitque le balancier de l'horloge qu'on ne voit pas. Elle est placée au-dessus, sous le comble. Son mouvement rappelle que le temps passe et qu'il en a passé depuis l'époque où la bonne Sévigné s'agenouillait là. Elle devait venir à la chapelle par le jardin, un beau jardin à la française, qui a gardé son ancienne disposition. C'est sur ce jardin que donnait de palin-pied la chambre de la châtelaine. On y a rassemblé quelques portraits. Un grand lit d'autrefois y occupe une large place avec sa courte-pointe de soie jaune que Mme de Grignan broda, dit-on, de ses mains. Cà et là, quelques fauteuils.
Une vitrine montre des papiers jaunis; au bas de l'un d'eux, en haut caractères un peu penchés, se lit le nom célèbre qui a signé tant de lettres spirituelles, tendres, maternellement passionnées, rieuses, ces lettres qu'elle écrivait, selon l'occasion de l'heure ou du jour, le souci du moment, avec cette verve qui n'est qu'à elle, qui va du bavardage à l'éloquence par toutes els nuances de la grâce et de l'esprit, et qui conserventr dans l'imprimé je ne sais quoi d'éternellement imprévu et de délicatement improvisé. De ces lettres, quelques-unes furent écrites ici même, entre ces quatre murs, les yeux à ce jardin familier, l'oreille au son de la grosse horloge de la chapelle qui donnait le signal d'ajouter le post-scriptum, de sceller le pli et de le remettre au courrier qui devait l'emporter à travers la France; elles le furent sur cette même table qui est encore là aujourd'hui et où s'inscrivent au registre ouvert à cette intention les visiteurs des Rochers, venus rendre hommage à celle qui personnifie cet art aimable et suranné qui retrouve parmi nous, à la faveur de l'été, un regain momentané puisqu'il est, si je puis dire, l'art de l'abvsence est un état qui devient déjà de plus en plus rare, car déjà la voix de ceux qu'on quitte nous parvient à distance, et on inventera bien quelque photographie merveilleuse des corps et des pensées qui nous rendra inévitablement et partout présents les uns aux autres.
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