Pâle enfant,
fleur chétive des bois,
je connais le lieu où poussent tes racines,
C'est le lieu de la première solitude
vivant, immobile
au creux de la mémoire.
Dans un temps à la lisière du temps
j'ai senti ton visage ourlé d'humides corolles
rafraîchir les nuits brûlantes de mes lèvres.
Je te revois comme alors, fille des brumes,
émerger parmi les algues,
les cheveux emperlés d'eau luisante,
les lèvres obstinées
closes sur le secret
que j'effeuille dans le vent.
Sœurs passagères,
blonde et brune flammettes
qui coure deux à deux sur le miroir des eaux,
cette course d'un jour sans nom
soulève-t-elle encor votre cœur
du même rythme inquiétant
qui fait battre mes tempes.
Je t'ai déjà vue dans ta parure d'autrefois
douce jeune fille à la figure pensive.
Je t'ai vu promener dans la foule
un regard nostalgique d'ailleurs.
Regarde.
Vois de ce palais la façade translucide.
C'est la vieille lumière s'irisant au fond des fables.
C'est l'ancienne splendeur où s'éternisent
nos songes les plus beaux.
Dans votre atmosphère d'images
je vous retrouve tous,
Vous qui parcourez mes distances intérieures
pour recouvrer au delà des vastes plaines de l'oubli
cette lueur d'éternité qui descend
sur l'arbre premier et la première extase.
Susana Giqueaux.
Les feuilles, soigneusement dépliées, sont conservées dans des chemises mal identifiées. Je découvre des noms, des dessins, des mots crayonnés. En recherchant l'auteur de cette page écrite à la machine adressée de Conception del Uruguay mais non datée, j'ai trouvé une présence dans un lot de la revue AMISTAD de 1958-1961, derrière les noms de Jean Cocteau, Jules Supervielle, Susana M. Giqueaux, qui se trouvent dans le même dossier.
Mariette a t'elle fait la connaissance de Suzanne Matilda Giqueaux lors de son édition illustrée de Jules Supervielle dont Susana a édité une traduction de poèmes en 1965 dans la collection des éditions Cuadernos Julio Herrera y Reissig ? Descendante de la famille des banquiers Rabiot de Mesle par sa grand mère, elle est décédée à l'âge de 100 ans en 2004.