Une série de textes de Mariette Lydis sont parus dans les années 30. Réflexions sur les modèles qui posaient pour elle à Paris, avec une présentation de la série par Joseph Delteil. Elle a fait taper par sa secrétaire à Buenos Aires d'autres textes, avec des traductions en Espagnol, en Allemand et copie en Français. Dans la pochette: ces quelques pages à la mine de plomb.
Gabrielle est moitié arabe moitié française. Elle est piquée de petite vérole, elle a de beaux yeux, elle a "un type" - Elle est peintre, elle pose pour pouvoir peindre après. Elle pose dans des académies, au même endroit où elle dessine, dans les cours du soir. Elle est mariée, elle est intelligente, elle est sérieuse. Elle me raconte beaucoup d'histoires dont voici les deux les plus amusantes. Elle va poser, chez un peintre, américain. Elle se déshabille, la voila nue. C'est le moment où il va vers la porte, la ferme à clef et commence à se dévêtir à son tour. Lorsqu'elle proteste il se met de très mauvaise humeur, il menace qu'il ira se plaindre, qu'elle n'est pas très gentille.
Il y a, à l'académie, une petite chambre au fond où tout le monde peut amener un, deux, dix modèles, les faire déshabiller en prétextant de chercher une certaine forme de seins, de jambes, des fossettes au bas du dos ou d'autres spécialités.
Voici un monsieur qui appelle Gabrielle - un monsieur qui semble sérieux, d'un certain âge, qui reste dans un coin éloigné à la suivre du regard. Elle se deshabille la voila nue, elle montre sa façade, elle montre son dos, le monsieur ne bouge pas, ne dit rien. Elle se rhabille, tant pis, je ne fais pas son affaire, pense Gabrielle. Mais lorqu'elle est toute prête, coiffée, son manteau sur elle, le monsieur demande doucement "deshabillez-vous" Gabrielle se met en colère - est-ce que vous me prenez pour une poire? Je viens de me deshabiller et vous ne dites rien, je me rhabille et vous me demandez de me redehabiller! Elle est rouge d'indignation- Ne vous fachez pas, je vous donnerai dix francs, j'aime tant voir des petites femmes se deshabiller - je suis médecin de femmes- Gabrielle se deshabille....
Olga
Coup de téléphone: c'est de la part de qui? Vous ne me connaissez pas, j'aime votre art, je voudrais poser pour vous. - Bon - Venez me voir - et on fixe un jour.
La voilà, moyenne de taille, mince et bien faite, des yeux langoureux et très maquillés, très brune, de peau, d'yeux, des cheveux taillés à la garçonne, bien habillée.
-Bien, vous m'intéressez - On commence à travailler. J'apprends qu'elle n'est pas modèle, qu'elle aime la peinture, les peintres, ma peinture spécialement. Elle apprend l'anglais, elle s'ennuie dans la vie, veut voyager. Elle voudrait devenir mon amie.
- Si vite c'est difficile, je suis lente à me lier d'amitié - Pendant le repos elle est minutieusement occupée à la réfection de son maquillage - son teint est sa préoccupation capitale et la neurasthénie. Elle est garçonnière et troublée - quand même elle voudrait savoir ceci et cela: on dit de vous que vous êtes lesbienne "---" De qui ne le dit-on pas? - Évidemment. -Vous fumez? -Oui= je veux bien.
Je lui offre le coffret plein de cigarettes. -On voit que vous aimez l'Italie - Je suis étonnée - comment a-t-elle vu cela au fond de la boite à cigarettes? - C'est parce que je vois que vous fumez des cigarettes qui viennent d'Athènes. - J'objecte: "Athènes est en Grèce" Cela l'ennuie, la fait rougir et s'excuser. - Merci c'est fini.
La dernière demi-heure de travail m'a été gâtée par la préoccupation du règlement, faut-il, ne faut-il pas la payer? Je décide que je préfère être refusée que de ne pas essayer? - Non, merci madame, j'aime poser pour vous mais je n'accepterai rien. Quand pourrais-je revenir poser? Je viendrai quand vous le voudrez, je suis si heureuse d'être près de vous. Je fixe une date - Elle est absorbée par son maquillage, un quart, une demi-heure. La voila prête
- Au revoir madame
- Au revoir mademoiselle.
La voix grave, avec un long regard elle dit: ne me dites pas mademoiselle, dites moi Olga
- Docile, je lui dit Olga et elle dit merci.
Mariette Lydis a fait régulièrement photographier ses tableaux, elle gardait un exemplaire "témoin" dans un classeur en indiquant souvent les dimensions, le support, parfois le nom de l'acheteur, quelques fois le prix. La collection Marc Vaux se trouve à Beaubourg sous forme de plaques. Les tirages utilisés ici sont des archives personnelles de Mariette Lydis. A Buenos Aires elle a confié cette tâche de mémorisation photographique à son amie Herta Fried, puis au studios Aguirres tenus par des parents de Julia Saint et Victoria Ocampo.
La série "Mes Modèles" parue dans le magazine "ALLO PARIS".
Nous les reproduisons à partir du numéro de janvier 1934.