J'ai su d'une mère japonaise qui disait à ses cinq enfants très aimés, lorsqu'ils s'absentaient: surtout ne m'écrivez pas, je ne veux pas m'émotionner.
Quelle sagesse!
Il est en général désagréable de recevoir des lettres.
Les unes sont sans aucun intérêt, les autres en ont de trop et vous laissent l'appétit éveillé, une envie d'en entendre davantage, ou d'être à l'instant même à portée de la main de votre correspondant. L'un et l'autre vous laissent un peu le coeur débordant, la langue paralysée et la main vide.
Il y a encore de celles que l'on porte avec soi pendant des jours, des semaines. Il serait prudent de ne jamais plus en recevoir de cette personne, il se peut que jamais il ne pourra dépasser le bonheur que cette missive vous a procuré.
On la lit, on la relit, jusqu'au jour où elle a perdu sa séduction, sa puissance. Elle est usée, elle ne donne plus son charme, son pouvoir s'est éteint, elle est fanée.
Une lettre arrive, elle a un visage. Elle est là, apparemment inerte, isolée de son entourage, elle vous observe, elle vous attend. Je la considère à mon tour, peut-on si fier?
Je la regarde de loin. Je ne l'ouvre pas, je ne m'en approche qu'avec précaution, quoiqu'elle ne saurait plus s'envoler. Elle est voyageuse, mais à l'heure qu'il est, elle est captive, arrivée au but de sa mission.
Elle vient de loin pour se poser inocemment sur ma table.
Je ne lis immédiatement que les lettres ou indifférentes ou désagréables, les autres je les soigne, je les garde, j'y pense pendant la journée, mais je ne les lis que la nuit, au lit. Les lettres devraient être lues comme elles ont été écrites: lettres de jour, lettres de nuit.
Et les vieiles missives que l'on garde! Les lettres dont on ne peut se séparer, moins encore les détruire; qui sont, lorsqu'on les relit ou anodines, ou indifférentes, elles vous produisent une brûlante douleur.
J'avais ainsi pendant de longs mois un îlot dans un de mes déménagements. Des caisses de lettres que je regardais avec angoisse. Impossible de les lire, impossible de les garder, impossible de les détruire. Une forteresse inattaquable et indestructible. Alors un jour je trouvais le sol déblayé: un être qui savait tout de moi les avait fait disparaître sans me consulter. Je lui en ai été reconnaissante comme d'une action héroïque.
Ne gardez jamais des lettres. Elles changent, ne produisent plus l'effet d'actualité, elles ont perdu leur éclat, leur message, leur souffle.
Mais sachez! Un morceau de papier peut briser une existence.
Heureusement pour nous, les collectionneurs, Mariette conservait ses correspondances. Mieux, après coup elle a restauré de mémoire certaines des premières lettres adressées à Montherlant, afin de reconstituer leurs échanges qu'elle comptait éditer. Mais à la lecture de cette "confession" on apprend aussi que nous n'aurons pas la trace des lettres de ses parents, probablement un tas manquant dans les combles de l'immeuble parisien. Probablement Giuseppe qui devait être l'être qui la connaissait le mieux, nous a fait disparaître l'histoire de son père à La-Chaux-de-Fonds et de sa soeur à Florence, sa Mère à Paris, ses tendres amies d'enfance à Vienne ou Grünenwald, ses deux premiers maris en Hongrie et au Pirée, tourner la page avant son départ pour l'Angleterre et le début de sa quatrième vie à Buenos-Aires.
Ces petits morceaux de papier, elle les a beaucoup disséminés. Ses proches en ont conservé, qui se retrouvent parfois et peuvent justifier sa conclusion: Marguerita Wallman, Marie Stiasny, Elisabeth Janstein, Erica Marx, Julia Saint, enfin Abrisqueta Yuarte ont toutes reçu des traits d'amour et des jets de reproches parfois cruels.