Henriette Charasson,
Auteure catholique, correspondait avec Jeanne Sandelion, Philippe Chabaneix, Marie Noël, etc
Dans les échanges d'articles, parus dans la presse au moment de la publication du livre de Jeanne Sandelion sur les relations de Montherlant avec les femmes à l'automne 1950, toujours contrariée par le mauvais traitement dont elle s'estime avoir été victime, par l'auteur du roman épistolaire "les jeunes filles", tous les coups sont permis.
A cette même époque le théâtre de la Madeleine présentait "Celles qu'on prend dans ses bras", ce "buzz" sur le livre de Sandelion servait il aussi la pièce?
Mais c'est déjà à la parution de la saga, "les jeunes filles" en 1936 que Charasson essaie de réconforter son amie.
[Les parties en italiques ou non sont respectées dans la transcription]
lettre du 28/10/1936 Paris, 2 rue de Mirbel, V°
Ma pauvre petite amie.
Je vous remercie de votre gentille lettre et de l'envoi de "Micromégas"*, où j'ai lu avec beaucoup d'intéret votre réponse signée "Hélène Sorgès", que j'ai trouvée très bien, et très généreux pour Montherlant.
Malheureusement, si j'en juge par son article dans Marianne* d'aujourd'hui, elle vous rebrouille complètement avec lui, malgré votre post-scriptum. Je dis "malheureusement", j'ai probablement tord, car je crois bien qu'il vaut mieux n'avoir plus de rapports avec qq'un qui utilise ainsi les lettres des gens, il en cite de vous, sans vous consulter, de manière à vous présenter comme une coureuse de publicité à tout crin et une terrible "femme de lettres", vous qui l'êtes si peu dans le vilain sens du mot!
Quant à moi, bien entendu, je suis un Tartuffe et un Busil. (Le plus fort, c'est que c'était une collaboratrice de Marianne - notre chère Suzanne Normand - qui, en me félicitant de mon article dans Vendémiaire*, m'écrivit: "Veux tu savoir la dernière de Montherlant? Il affiche chez Gibert etc. etc." Et je ne disais nullement que c'était une lettre d'Andrée qui était affichée, je disais "une lettre d'une des jeunes filles.") Je ne vais d'ailleurs pas répondre, j'ai horreur de ces réponses. On dit ce qu'on a à dire, et on en reste là. Si M. crie si fort, c'est par ce que je l'ai touché où le bât le blesse, et qu'il ne peut pas ne pas sentir qu'il a agi avec vous comme il ne devait pas agir.
-Pour votre roman, mon cher petit, je ferai tout ce que je pourrai. Téléphonez-moi dès que vous serez là. Je vais m'absenter beaucoup en novembre, pour des séries de conférences, mais je trouverai bien un moment, dans mes retours, pour causer avec vous et voir comment utiliser, au mieux de votre avantage, le bruit qui s'est fait autour de vous. Je ne crois pas, d'après ce que j'ai vu dans la N.R.F. d'Andrée, que qui que ce soit puisse vous confondre avec son nouvel aspect; l'erreur littéraire de M., çà a été de ne pas voir que les lettres fières, ardentes et délicates d'Andrée, celle qui fut vous, ne pouvaient pas, psychologiquement, provenir de celle à qui il prêta d'autres paroles et l'horrible post-scriptum de la dernière lettre des Jeunes filles, vu l'avilissement de la scène parue dans la N.R.F. récemment. Ceci et que cela. Courage, mon petit! Le monde littéraire ne retiendra que vos belles protestations, allez, et ce mal finira tout de même par vous servir. Merci de la charmante et touchante plaquette.
A bientôt.
Je vous embrasse. H. Charasson
*Jeanne Sandelion écrivait dans plusieurs magazines littéraires féminins, on constate dans cette lettre les effets des joutes entre amies mais néanmoins concurrentes, joutes observées avec un regard probablement amusé de Montherlant qui faisait tout pour les exciter.