Le samedi 3 mars 1945 le Théâtre des Mathurins "Le Rideau de Paris" donnait une petite pièce qui représentait pour son auteur une sorte de renaissance après son activité pendant la période de la guerre et de l'occupation.
La distribution n'est pas négligeable: Maria Casares, Gérard Philippe, Claude Piéplu, le personnage de Federigo tenu par Jean Marchat et aussi René Blancard, André Valtier. Avec une mise en scène de Marcel Herrand, et une musique de Georges Auric, excusez du peu.
C'est du programme de la "sixième saison" (où Pierre Crespin jouait Le Prince Blanc en remplacement de Gérard Philippe) que j'extrais cette petite présentation :
"Cette pièce est tirée d'un conte de Prosper Mérimée qui porte le titre de Federigo. Mais Mérimée lui-même reconnaissait qu'il s'était à cette occasion servi d'un récit du Moyen-âge. Une donnée semblable a inspiré de récents films américains. Pourquoi, à de certains moments, des thèmes s'entre-croisent ils en plusieurs œuvres? C'est sans doute parce-qu'ils correspondent à un besoin du temps, par exemple celui de fuir le réel, ou, au contraire, celui de le serrer de près.
L'auteur de cette pièce n'a pas, à proprement parler "adapté" le conte très court de Mérimée. En plus du titre, il lui a emprunté certaines données de départ; cependant l'idée dramatique n'a pas de rapport avec la trame charmante et sceptique du romancier.
Federigo est un joueur. Un joueur dans tous les sens du mot. Joueur avec les cartes, joueur avec la vie_ ou plutôt, comme on le verra, prêt à engager sa vie sur un coup de cartes. Quand le rideau se lève, il touche au plus bas de sa courbe.
Une longue malchance l'a conduit dans une modeste maison de campagne, son dernier bien. Il mord avec agacement dans les jours qui passent comme en des fruits verts. La chance reviendra-t-elle? Et sous quelle forme? Sous celle de l'or, sous celle de l'amour? Et par quel détour. Dieu, qui malgré l'apparence reste charitablement à l'affût de toutes ses créatures, le conduira-t-il à abattre ses cartes et à ramasser, enjeu inespéré, le bénéfice de la sérénité - c'est ce que cet autre jeu, ce jeu en trois actes et plusieurs âges - va essayer de vous apprendre.
L'action se situe en Toscane, au début du XV° siècle. Mais ne soyons pas trop rigoristes - plus que ne doit l'être la poésie - sur la vérité historique? Imaginons que nous nous trouvons en un de ces moments spéciaux où les civilisations ont changé de forme, où les anciennes mœurs, les anciennes croyances n'étaient pas encore dominées ni dissipées par les nouvelles. Dans la campagne de Toscane, Federigo poursuivait le gibier pour se distraire, il pouvait aussi bien rencontrer des moines très réels et très pieux qu'entendre parfois, ultime écho païen, le galop sourd et désemparé du dernier centaure."
L'élégant petit recueil publié à 125 exemplaires (après les 40 premiers sur Arches) sur un agréable papier Alpha gris aux Editions Nagel au premier trimestre 1945, comporte à la suite du texte de la pièce (en trois actes et quatre tableaux), un court message de René Laporte qui précède l'impression du conte d'origine.
(pour information le programme affiche un prix de 8F et le livre 48F)
"Cette pièce a été inspirée par un conte de Mérimée qui, je m'en suis aperçu, est malheureusement peu connu. Mérimée avait, lui-même, pris l'idée de ce conte dans une légende du moyen âge? Le même thème, où l'au-delà joue le rôle, a été plus récemment emprunté par quelques films américains.
Si j'avoue ici ces parents, c'est moins par crainte d'être accusé de plagiat que par désir de faire constater qu'à de certains moments, certains thèmes se rejoignent en des œuvres diverses, comme s'ils répondaient à une nécessité du temps, par exemple celle de fuir un réel trop absurde ou trop cruel.
Au reste, je pense que le plus honnête est de demander au lecteur de se faire juge. C'est pourquoi je publie le texte du conte à la suite de la pièce. Le lecteur n'y perdra certes pas: c'est parmi les chef-d’œuvre de Mérimée, un des plus courts, mais non des moindres.
Mars 1945."
Suivent dans une fine police les huit pages du conte extrait de "Romans et nouvelles de Mérimée". (Page 14)
(Vous pouvez aussi l'écouter, lu par René Depasse)
René Laporte, toulousain, poète créateur des Cahiers Libres avait reçu les encouragements de Montherlant lors de la réception de son deuxième volume de poésie, L'An Quarante. Il se fit une spécialité d'éditer les surréalistes ses amis dans la maison du même nom. C'est par son intermédiaire que Mariette Lydis fit l'illustration du premier recueil illustré de Montherlant en 1927, tirage à 100 exemplaires avec 5 gravures, la nouvelle "Lettre sur le Serviteur Châtié", qui sera reprise comme base de son roman "Moustique" et publié à titre posthume par Pierre Sipriot à la Table ronde en 1986. On peut lire une analyse très éclairante de Pierre Duroisin, sur la réécriture de cette nouvelle.
Les éditions "Le dilettante" ont reédité en été 2012, une nouvelle de lecture agréable avec une préface de présentation de l'auteur, par François Ouellet, la situation à Monte-Carlo pendant l'occupation, est un curieux rapprochement avec Charles Orengo. Laporte lui se trouvait à Antibes, voir à ce sujet mes recherches sur Chadourne.
*1/ lien sur Maria Casares