A la recherche de documents sur M-A Jullien, j'avais noté que souvent les citations des lettres de sa mère, en particulier dans le livre de Marie-Claude Delieuvin, étaient extraites du livre de Pierre Gascar(*1), sa lecture effectivement m'a apporté des renseignements non cités jusqu'à présent.
Ce livre se distingue d'autres qui sont très précis car issus de thèses d'histoire. Ici il y a la précision de la citation du texte des lettres, mais dans une mise en scène romanesque qui fait mieux ressentir l'état d'esprit au moment des évènements.
"Le peu d'émotion qu'il montre, en montant avec le bon petit Jules dans la diligence pour Paris (Rosalie les a accompagnés jusqu'à Valence, le plus proche relais de poste, sur la "grande ligne" du Midi), tendrait à le faire croire."
En postface, l'auteur explique les conditions de la transmission de l'archive: Les héritiers de Philippe Hériat(*2) (dont il est l'exécuteur testamentaire) lui transmettent des documents dont un "cahier vert" qu'il retrouve après 5 ou 6 ans et comprend enfin qui en sont les auteurs. Dans ce livre de compte, M-A Jullien a fait recopier les lettres de sa mère (par un secrétaire utilisant la plume d'acier!) puis vers 1829 il lit, biffe les noms, corrige certaines phrases pose des commentaires en marge, s'apprête peut être à le faire publier, finalement ce n'est qu'en 1881 que son petit fils Edouard Lockroy (*3) fait éditer, après avoir encore expurgé les lettres, le "Journal d'une bourgeoise pendant la révolution".
En fait les lettres originales soigneusement conservées ont été vendues à l'institut Marx-Engels et sont restées à Moscou(*6). Une transcription à partir d'une copie microfilmée en 1990 rapportée par Pierre de Vargas a été produite par l'association "Jullien de Romans" (*5) (dont en 1979 Gascar n'avait pas connaissance).
Donc cette histoire est bien racontée, il en manque la citation des sources, les bibliographies.
C'est à rapprocher de l'histoire de la famille Lacombe contée par l'héritier Claude Simon (*4), mais où par un jeu subtile de mélanges, d'interpénétration des descriptions les unes dans les autres, sans jamais citer un texte reconnaissable comme original (peut être en italiques, mais sans guillemets, sans dates), mais décrit comme étant issu des correspondances retrouvées de ses ancêtres, l'auteur si difficile à déchiffrer nous a livré dans "les géorgiques".
Ce que l'on peut regretter dans l'un comme dans l'autre de ces "romans" issus de correspondances, c'est de pouvoir accéder à quelques reproductions de pages.
"Il lit les phrases maladroites où la menace est enrobée de formules pompeuses et dont il a laborieusement refait et raturé plusieurs fois le brouillon: l'écriture impulsive, fougueuse, l'encre pâle, transparente, d'un brun rouille presque rose: avec leurs festons irréguliers de jambages, d'entrelacs, de ratures, d'arabesques, les lignes dessinent sur les feuillets jaunis comme de minces bandes de dentelles déchiquetées et fanées." décrit Claude Simon et "Ces mots en ronde agrémentée de guillochis ont été tracés par un copiste dont on va pouvoir, tout au long des 224 pages du registre, admirer la "belle main", comme on dit alors. L'écriture de l'homme qui collationne et annote le texte tranche sur ces élégants pleins et déliés. Elle dit la plume d'oie, alors qu'ils sont dus de toute évidence à une de ces plumes d'acier qu'on importe de Birmingham, depuis une douzaine d'années à peine. .. Il est vrai: l'artistique calligraphie du copiste ne pourrait exprimer la spontanéité des sentiments, leur force, leur violence, aussi bien que l'écriture un peu écrasée de l'annotateur le fait. Elle va être comme la voix mâle, dans un duo." note Pierre Gascar.
J'aimerais bien comparer par moi-même les différences entre les 3 exemplaires connus: le livre de Lockroy, les pages du "cahier vert", le microfilm de Moscou conservé à Romans. Les archives Jullien se trouvent en fonds privés aux Archives Nationales.
*1/ Pierre Gascar (Pierre Fournier) 1916-1997 Prix Goncourt en 1953 pour Le temps des morts, inspiré de son expérience des camps de prisonnier des Allemands de 1940 à 1945.
*2/ Philippe Hériat (Raymond Payelle 15/9/1898-10/10/1971) fils de Georges Payelle (24/6/1859-1941) qui fut le secrétaire de E Lockroy
*3/ Edouard Lockroy ( Edouard Simon) fils de l'artiste Joseph Philippe Simon dit Lockroy marié à Stéphanie Jullien, était il le petit fils du Général de Brigade Edouard-François Simon (1/12/1769-13/4/1827) baron de l'empire, fils de Simon de Troyes?
*4/ Claude Simon, (10/10/1913-6/7/2005) Prix Nobel littérature pour son oeuvre en 1985, Descendant de Jean-Pierre Lacombe St Michel (St Michel de Vax Tarn) Les Géorgiques 1981.
*5/ Transcription de Jean Sauvageon dans "l'association Rosalie et Marc Antoine Jullien" à Romans. Se trouve aux Archives Communales.
*6/ Pour une explication sur ces archives consulter
BEECHER Jonathan, « Des inédits de Fourier dans les archives de Moscou »,
Cahiers Charles Fourier
, n° 12, décembre
2001, pp. 9-16
Disponible en ligne : http://www.charlesfourier.fr/article.php3?id_article=46