Il y a ici une jeune femme de chambre espagnole, jolie, douce, distinguée. Elle n'a pas été femme de chambre toute sa vie. Elle était mariée, elle a deux enfants.
- Elle entend des voix.
- Depuis quand?
- Depuis sa grossesse.
Elle vivait à ce moment dans un hôtel où elle entendait derrière les portes un groupe de personnes chuchoter sur elle, toujours sur elle: un tas de choses sexuelles, insultantes, très intimes.
- Vous les entendez toujours?
- Non, pas toujours, mais très souvent. Mais ils parlent fort,
- Comme moi en ce moment?
- Oui, comme vous.
- Mais, comment se fait-il alors que moi, qui suis à côté de vous, je ne les entend pas?
- Je ne sais pas, mais ils sont toujours avec moi, même -et elle rit- si je ne les entends pas pendant plusieurs heures ils me manquent, je me sens seule.
- Vous pouvez leur répondre? Ils vous entendent?
- Oui, ô oui! Je peux leur poser des questions, ils me répondent.
- Vous n'avez pas peur d'eux?
- Non. Au début j'avais peur, mais à présent je suis habituée ... Quelques fois je ne leur réponds pas, mais là ils deviennent si grossiers et alors je me fâche et je leur réponds aussi de gros mots.
- Cela les fait taire?
- Quelques fois.
- Vous avez raconté cela à quelqu'un tout de suite lorsque vous les avez entendus la première fois?
- Non, pas tout de suite. J'avais J'avais peur que l'on pourrait me croire folle. Mais un peu plus tard lorsqu'ils ne me quittaient plus , je ne pouvais me retenir de le raconter.
- Vous reconnaissez les personnes qui vous parlent?
- Ô oui. Je les reconnais toutes. Ce sont toujours les mêmes. La plupart sont des parents.
- Vous les avez revus lorsqu'ils ont commencé à vous poursuivre?
-Ô oui, souvent, mais lorsque je les vois en public ils font semblant de ne rien savoir bien sur; ils sont hypocrites, ils ne veulent pas laisser supposer que ce sont eux, mais moi, je le sais bien ...
- Ils sont toujours mauvais, haineux, insultants?
- Non, pas toujours, il y en a qui sont quelques fois gentils. Quelques fois je crois réellement que je suis folle, mais à d'autres moments puisque je m'analyse si bien que je raisonne, je ne le crois pas ...
- Pauvre vous, c'est un calvaire.
- Oui, c'est un calvaire. C'est mon mari qui est le chef de groupe.
Rincon, Février, 1950.
Cette note souvenir, datée de 1950 confirme le retour de Mariette en Argentine. Le Rincon est la bâtisse dans la propriété des Saint où elle avait installé son atelier.
Ces conversations, qu'appréciait beaucoup Mariette Lydis, sont très proches de ses observations sur ses modèles, faisait-elle poser alors la femme de chambre? Les visites aux asiles, aux institutions qu'elle aidera ensuite sont dans la continuité de son éducation et de sa sensibilité.