19-9-51
Chère M.L.
Vous me déroutez un peu en me disant que vous allez vous servir d'une phrase d'une de mes lettres. Car je vous écris au courant de la plume, c'est à dire sans cette attention qui est nécessaire
pour qu'une phrase colle exactement sur le sentiment ou sur la pensée. Faites-le si cela vous est agréable, bien entendu. Mais pourquoi, lorsque j'ai écrit quelque 25 livres dont je prends
l'entière responsabilité, citer de préférence une lettre écrite à la va-vite? Vous me répondrez sans doute: "Elle a quelque chose de plus personnel". Réponse de femme, à une position d'homme.
Je vous ai envoyé la traduction américaine de ma pièce qui porte votre dessin sur la couverture "rempliée". Je pense que c'est decela que vous parlez, et non du livre de J. Sandelion,
Mt et les femmes, qui vous fut envoyé vers nov-bre dernier, et portait ce même dessin sur la couverture brochée, reproduit avec votre
autorisation.
Je vous fais envoyer aussi, aussitôt qu'ils auront parus, C.à D. incessamment, les disques Festival (de moi).
Le testament est une chose qui porte à réfléchir. Il y a treize ans que je tripote le mien. La question essentielle qui en sort - pour un artiste
- me semble être: pourquoi avoir non seulement fait, mais maintenu avec tant de fermeté, pendant toute une vie, une oeuvre, - pour qu'elle aille à vau l'eau aussitôt que vous aurez disparu? Car
nul ne peut vous remplacer dans le soin à donner à votre oeuvre: légitimes et illégitimes, les héritiers ne réunissent jamais, je crois, les
deux vertus indispensables: le dévouement et la capacité. C'est ou l'une , ou l'autre; et alors...
Votre désir d'illustrer ma pièce *(1) va au-devant du mien, car elle est précisément l'oeuvre "lydienne". Et puis, il vous suffira de l'entrouvrir pour voir qu'elle vous appartient déjà. Je crois que c'est une des meilleures choses que j'aie jamais écrites, pour la construction, la compression (concentration), la pureté de la ligne,
l'émotion, la richesse et aussi la noblesse dans les sentiments (ne croyez pas que je m'admire à ce point ds tout ce que j'écris! Loin de là.) Mon programme de publications ne permet pas de vous
la donner en originale (elle parait en novembre chez Gallimard), mais je suis sûr que, avec votre nom, une post-originale sera commercialement heureuse. Je ne l'ai fait lire encore qu'à deux
personnes (en dehors de l'éditeur), deux femmes (mères). L'une m'a dit que c'était ce qui la touchait le plus dans toute mon oeuvre. Dites-moi
oui, et je me mettrai alors en rapport avec Mme Jaubert.*(2)
Affect. M.
Il n'y a qu'un visage un peu marqué par l'âge: le Supérieur. L'abbé de Pradts a 30 ans et vous pouvez le rajeunir.
1/La ville dont le Prince est un enfant, le tapuscrit d'une première version se trouve joint à la correspondance.
2/Carmen Jaubert, était l'agent de Mariette Lydis en France, elle s'occupait des droits et des expositions de Mariette.