Dans les notes et mémoires dactylographiées à Buenos Aires, des archives Mariette Lydis: (illustrations empruntées aux vendeurs sur Delcampe)
HOTEL DANIELI.
Venise n'est pas une ville.
C'est une vaste demeure, une maison pleine de corridors et de couloirs sombres, qui aboutissent à de somptueuses places ensoleillées, coupées de ces canaux secrets, apparemment romantiques, en vérité remplis de mystères et de menaces.
Venise, jouet baroque, promenade d'oisifs pour les uns, lieu de dur travail pour les autres qui portent sur leur dos les lourdes malles des voyageurs, commodes, armoires - tout ce qui, dans d'autres villes, est charrié par des camions-.
C'est ici où les pauvres admirent encore les riches, les servent avec dévotion, aiment leurs distractions superficielles, leurs impérieuses frivolités. Car tout le monde à Venise, semble n'avoir qu'une seule préoccupation, s'amuser, se promener, se dépêcher vers un but qui devrait être le plaisir, la distraction, la recherche, souvent problématique, de ce qu'il espère trouver ici.
Si Venise est une série de chambres, les gondoles en sont les lits noirs et profonds, des lits multiples, ambulants et craquants mis à une dure épreuve.
Quel charme, quelle beauté, quelle fatigue!
Quel défilé de figures parmi tous ces étrangers qui circulent par Venise entre les habitants habitués à ce Carnaval éphémère, lucratif et de courte durée.
Les pigeons, place St Marc, travaillent les étrangers consciencieusement.
Ils ont leurs journées de huit heures et ne s'occupent que du public de première classe, affairés, ils se livrent à leur besogne, de se poser sur les mains des dames, les effrontés sur leurs têtes. Ils grouillent autour, à coté, entre et par dessus, sans distinction de nationalité, d'âge , de sexe, de race.
Ils sont obligés à une grande courtoisie, même à un genre de tendresse espiègle. Ils évitent cependant des grandes intimitées.
Se faire photographier et manger dans toutes les mains est leur devoir pendant huit heures par jour.
Après un envol simultané et magnifique, changement d'équipe, ils surveillent du haut de St.Marc leur clientèle, dans une douce somnolence, jusqu'à la prochaine fournée de nouveaux touristes.
Ils ont un régisseur - chorégraphe qui agite une sébile pour les appeler au travail.
Leur photos restent dans les albums de famille, comme une relique du voyage de noces, les enfants qui en résultent les apprécient en attendant leur tour des pigeonne-ries avec impatience.
Peu de touristes résistent à cette tentation, bon marché, qui donne des résultats si avantageux, si durables.