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Propos de critiques

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A Monsieur Mourlot Amicalement 1929, cet extra dans le Dialogue des Courtisanes.

A Monsieur Mourlot Amicalement 1929, cet extra dans le Dialogue des Courtisanes.

Ce billet n'aura pas pour objet de faire taire les critiques de Mariette Lydis, ceux-là l'ont soit encensée et parfois trop, soit démolie ... et parfois trop, et le temps est passé, ils ont quasiment tous disparu et pour beaucoup on les ignore à présent. Ce qui m'attire dans l'œuvre de Mariette n'est pas lié à sa technicité, son académisme, mais au choix de ses désirs de représentation, son analyse "psychologique" du sujet, qu'il soit un corps féminin, un enfant, un visage, un animal même un végétal, une simple fleur, Mariette exprimait dans sa représentation quelque chose du caractère, de la pensée, une sorte de scanner de l'intérieur qui me séduit.

Pour le tirage des illustrations des chants d'Ovide dans "Le Dialogue des Courtisanes", (c'est fou comme certaines œuvres littéraires ont inspiré éditeurs et dessinateurs, je ne sais si un inventaire des ouvrages les plus fréquemment illustrés existe, c'est un peu comme pour le cinéma ou la télévision on prend ce qui marche ... les crimes d'Agatha Christie, les Maigret ...) Govone a choisi de les confier à Mourlot, d'où l'exemplaire qui lui est dédicacé.

L'acceptation (la compromission) d'un labeur par une telle référence dans la reproduction de la gravure artistique vaut largement beaucoup de critiques négatives. Les signatures de Mac-Orlan lui-même écrivain et dessinateur, Francis de Miomandre, Joseph Delteil, Marie Bonaparte, Claude Salvy décoratrice, démontrent qu'au delà de l'esthétique, la joie de vivre, l'enthousiasme, le mode de vie même de Mariette comptaient dans leur appréciation.    

Comme critique positive, on lit la première, celle de Thomas Mann, dans le journal viennois de 1922 "Neue Freie Presse" qui s'extasie devant le travail de la première publication: "Der Mantel der Träume", dans la foulée il y aura "Miniaturen", "Der Koran". Puis le Journal "Neue Wiener Journal" tenue par la féministe Berta Zuckerkandl protectrice de la Sécession, des arts "disruptifs" avec un long article de Hans Ankwiz Kleehoven, critique réputé mais qui s'étonne encore en 1928 de la hardiesse féminine face à l'art "installé" masculin.

Dans le camp des juges difficiles, un certain François Fosca, principal éditorialiste dans la revue de son frère "L'Amour de l'Art" [*1] de son vrai nom Georges de Traz, d'abord peintre plus âgé que Mariette de 6 ans, mais sans réussite, il se reconvertit en auteur de policiers et critique d'art à partir de 1923, rencontre l'œuvre de Mariette au Salon d'Automne en 1925. Dans un article de janvier 1928 il lui prouve son désamour et ne lui pardonne pas sa liberté, son modernisme, même sa façon de travailler dans certains cas à partir de photos [*2], ce qu'il a dû souffrir en assistant dans son grand âge au succès d'Andy Warhol.  Le seul commentaire trouvé sur ses ouvrages[*3], dans Babelio est pour la qualité médiocre des reproductions qu'il présente dans un livre sur Degas. Mariette choisissait Mourlot pour la qualité, son autoportrait était encore exposé en 1944 dans la salle des autoportraits aux Offices de Florence [*4], sa toile "Music Hall" achetée par le Jeu de Paume se trouve être une pièce lumineuse au musée La Piscine à Roubaix. L'achat de la toile en 1934 fut relaté dans un bel article de Jour de France en 1955[*5] avec en exergue cette citation de Montherlant: "Je répète à tout venant qu'il n'y a que vous qui sachiez ce qu'est un visage".

Plus critique encore mais non dans un but commercial puisqu'un avis confidentiel. Matisse dans un échange de lettres avec Montherlant qui éditait "La Déesse Cypris", en extase devant les photos de nues de Laure Albin Guillot qu'il rapprochait des merveilleux visages de Mariette, la réponse du Maître fut cinglante car une peinture sans technique ne valait rien pour lui. On dit bien les goûts et les couleurs...

*1  Revue éditée de 1920 à 1938 Georges de Traz y contribue de 1923 à 1929

*2 Si j'ai trouvé beaucoup de photos dans les archives, (Madeleine Ozeray par l'amie Herta Fried, Colette, les mains de son mari Giuseppe par Laure Albin Guillot, Dore Hoyer, Trudi Schoop, ...) Etrangement je n'ai jamais retrouvé la même pose, le même regard, le même profil dans les peintures ou gravures qui en découlèrent,  dans l'exemple de Colette qui l'explique (dans le programme des Petits lits blancs 1934)  elle se préparait en étudiant des photos y compris dans des magazines afin de mieux "cadrer" et analyser lors de la pose, sinon elle préférait "imaginer" et ça elle le maîtrisait parfaitement. 

Madeleine Ozeray tournée Jouvet à Buenos Aires 1943 [*6]

 

 

          Photo Herta Fried                    Couverture du programme

*3 Dans le Figaro (7 janvier 1942) sous la plume d'André Rousseaux on trouve une critique de sa réécriture des "Mystères de Paris" avec le titre sans concession: "Les malheurs d'Eugène Sue". Malgré cela comme Suisse ayant produit en langue française il reçu un prix de l'Académie Française pour son œuvre. 

*4 Texte de présentation de l'exposition en 1944 "élèves de Mariette Lydis" par Laura Elena Bullrich de Pereda. Imprimerie Ateliers Graphiques Saint. 500ex p6."...Celui qui a visité la Galerie des Offices à Florence ne peut oublier ...Dans le mur de droite (un regard vert sans mélancolie et sans hardiesse, direct et très jeune), porte la signature: Mariette Lydis. ..."

*5    Jour de France N29 26 mai 1955, à l'occasion d'une tournée d'exposition en France, en Italie, à Bruxelles, ...
 

 

Présenté au musée d'art et d'histoire de Roubaix, la Piscine.

*6 Spectacle au Théâtre Colon, le programme précise: Mariette a réalisé costumes et décors.

L'article de Claude Salvy dans un complément de la rubrique qu'elle tenait régulièrement dans la "Gazette de Lausanne" est plus élogieux, un brin condescendant voire mielleux, l'amitié transpire. J'en transcris ci-après la teneur d'après une frappe trouvée dans les archives, l'article parût le 20 Octobre 1949 sans le dernier paragraphe.

 

Les femmes dont on parle: MARIETTE LYDIS

Article de Claude SALVY.

Elle habite à Auteuil dans un appartement clair, ordonné et dont elle a peint à fresques certains murs. Dans un angle de sa grande pièce à vivre, tout près de la baie, ses chevalets, ses pinceaux, ses crayons, ses couleurs. Mariette Lydis aime l'ordre de plusieurs manières, aussi bien celui qui réjouit ses yeux que celui qui plait au toucher de ses paumes subtiles, bois polis, étoffes choisies avec les doigts, toison d'un caniche dont la petite tête triangulaire évoque on ne sait quelles images héraldiques. [*s1]

Mariette Lydis est mince, élégante, son visage aux traits réguliers est plain de charme. Elle a un regard clair, un regard qui "voit". Il voit plus loin que la couleur de vos cheveux ou la coupe de votre tailleur.[*s2]

Voyagé? Dit-elle, non, je n'ai pas voyagé. J'ai habité dans huit pays différents. Ce n'est pas la même chose. Je suis née en Autriche, je suis maintenant depuis longtemps Française. [*s3] J'habite Paris depuis toujours , me semble-t-il. Et j'y suis demeurée des années sans en franchir les portes, mais maintenant je suis en Argentine depuis longtemps.

Mariette Lydis quitta la France pour l'Angleterre en 1939, elle gagna ensuite l'Amérique [du sud]. Puis elle nous est revenue, puis elle est repartie.

L'Art de Mariette Lydis, peintre et graveur, est un art extraordinaire parce qu'il est d'abord un don. Elle dessinait en les copiant(étant toute petite fille) les images de ses livres. L'un de ses professeurs lui ayant un jour demandé de décorer une chambre d'enfant, Mariette d'abord décontenancée, se mit cependant au travail. Ce fut alors qu'elle s'aperçut qu'elle "savait". Elle ne cessa plus dès lors de dessiner et de peindre. Elle travailla inlassablement, ne s'arrêtant qu'à l'heure où l'aube froide éteint l'ardeur que certains ne trouvent que dans la halte des nuits.

Elle n'a jamais rien appris d'un maître ou d'un cours, elle est entièrement autodidacte, et vous dira même qu'elle ignore les lois du dessin, y compris celles de la perspective. [*s4].

Mariette Lydis a peint beaucoup de visages féminins et beaucoup de visages d'enfants. Les critiques à l'examen rapide, vous diront peut-être que ses femmes ont quelque chose de trouble, pour qui et pour quoi? Et que faut-il entendre exactement par ce qualificatif que les hommes emploient volontiers pour désigner ce qu'ils ne comprennent pas, un peu comme font parfois les médecins avec le mot "nerveux". Est-ce que les femmes de Mariette Lydis laissent sourdre par leurs regards noyés leurs visages aux lèvres entrouvertes , des phrases que les hommes n'entendent point? Mais ses Madones, ses femmes maternelles penchées, accotées au visage de l'enfant qui est le leur, n'ont elles pas aussi quelque chose qui, parfois, dépasse l'entendement, une douceur, une sainteté? [*5]

Mariette Lydis fit à son retour d'Amérique une étonnante exposition rue Royale à Paris. Il faisait froid. L'hôtel particulier où vécut Mme de Staël, voyait flamber les âtres des grands salons en enfilade. L'artiste surprit par sa nouvelle manière tout aussi subtile, mais infiniment poignante. Les femmes heureuses, l'Amour, la Maternité, la Candeur, cette qualité d'outre monde qui fit dire à Montherlant que l'on aimerait vivre avec les personnages de Mariette Lydis.[*6]

Elle vient de terminer maintenant pour l'éditeur Vialetay une magnifique suite de trente lithographies qu'elle a gravées elle-même. [*s7] Il s'agit de Madame Bovary. Mariette Lydis aussi précise et consciencieuse qu'elle est fantaisiste et capricieuse est allée vivre sur les lieux mêmes où Mme Bovary est censée avoir vécu. Mariette Lydis ... une sédentaire.[*s8]

Mais l'auteur, quand ce livre paraîtra en France n'y sera plus. Elle continuera ses expositions si cotées dans tous les grands centres du vieux et du nouveau monde: Paris, Londres, New York, Boston, Pittsburgh, Milan, Venise, Rome, Bruxelles, Genève, Amsterdam, Buenos Aires, Santiago de Chile, Montévideo ont pu admirer son talent si multiforme de peintre, dessinateur (de la pureté d'un Holbein, comme dit Montherlant), graveur, lithographe, illustrateur de grande renommée, car elle a illustré à peu près 70 volumes. Illustrations si cotées en France que ses volumes sont épuisés et introuvables souvent avant la parution du volume, quoiqu'elles soient d'un prix fort élevé.

Les œuvres figurent dans la plupart des musées de l'Europe et des Amériques. C'est ainsi que son portrait d'elle même a eu l'insigne honneur très exceptionnel pour un peintre en vie de figurer parmi les plus grands de la peinture de tous les temps dans la Sala degli Autoritratti dans la Galeria degli Uffizii de Florence.

Il existe plusieurs monographies sur ce peintre si complet, deux accompagnées d'un texte de Montherlant, une autre dont la préface est du peintre lui-même et dont dit Montherlant, cet essai me paraît important, parce qu'on y trouve en quelque sorte le portrait-type de l'artiste créateur.[*s9] J'aime retrouver dans Coupe à travers moi-même [*s10] cette honnêteté dont le mot vient de venir deux fois ici, sous la plume de Mariette Lydis.

Elle consacre, d'ailleurs, le peu de temps qui lui reste, à écrire, ce qu'elle appelle son Violon d'Ingres, elle a été publié et je cite ici encore une fois H. de Montherlant: "Devant l'art si sensible et si sensuel" de Mariette Lydis, qui s'est posé la question: "Cette femme est-elle intelligente?" Je réponds: "Je suis frappé par son intelligence".

Elle comprend tout, élude ce qu'il faut éluder, dit qu'elle n'a pas d'opinion quand sur ce sujet-là elle n'en a pas. Nulle prétention, aucun jugement hâtif ou léger, beaucoup d'interrogations, beaucoup de divination. Elle est naturelle et le naturel est toujours intelligent, en grande partie parce qu'il ne se préoccupe pas de l'être.

 

 

*s1 Regard d'une décoratrice
*s2 Regard d'une femme
*s3 Article lors de son exposition en Belgique fin 1949, après le décès de Govone, en 1948 elle songeait revenir vivre à Paris. Mariette a écrit avoir appris à Vienne dans son enfance le Français avant l'Allemand. L'arrêté de naturalisation est publié au journal officiel le 26 Août 1939, alors qu'elle a déjà quitté la France pour l'Angleterre.
*s4 Peu gênant pour les icônes, mais troublant dans certains portraits complètement déformés, mais sûrement juste quant au caractère représenté si on se rapporte à sa description de ses modèles.
*s5 Net témoignage de féminisme partagé.
*s6 L'exposition en 1948 fut douloureuse pour Mariette qui avait perdu tant d'amies pendant le conflit, elle exposait aussi des ruines, l'exode, toutes les destructions, reflets de l'angoisse dans l'attente des bombardements en Angleterre, les personnages désirés par Montherlant étaient ceux du bonheur d'avant.
*s7 Une spécificité de Mariette par rapport à l'habitude de faire graver les dessins de l'artiste par le technicien, mal apprécié par certains critiques vus plus haut qui sous-estiment l'estampe. Mariette travaillait ses dessins, puis ses calques pour inverser l'image, s'entrainait sur du japon "qui ne se gomme pas", puis reportait ses gravures sur cuivre au burin, grisées à la roulette, elle remercie son mari pour l'avoir initiée à la pierre lithographique (non gravée) qu'elle exploitera également.
*s8 Peut-être, si le jeu de photos prises par Jacques Vialetay, ne lui suffisaient pas, mais j'en doute, les dessins s'inspirent surtout de la beauté de l'épouse de l'éditeur qui lui servait de modèle pour Emma. 

*s9 Une édition de ce recueil vient d'être réimprimé en décembre 2017, traduit en Espagnol sous le titre "A través de mi misma". Monsieur Javier Villa, Conservateur Principal  du Musée d'Art Moderne de Buenos-Aires, m'en a offert un exemplaire lors de notre rencontre Vendredi 26 janvier, qu'il en soit remercié. Il m'a précisé qu'il s'agit d'une traduction de qualité réalisée par de fins spécialistes.

*s10 Titre de la préface en Français d'une monographie produite par Edmond Saint chez Viau en 1945. Cet ouvrage mis en page par l'artiste elle-même a été traduit et publié en décembre 2017 à Rosario.

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