Me voilà embarqué dans une recherche que je n'avais pas planifiée.
Pour la préparation d'une exposition (j'en parlerai quand l'annonce sera officielle), j'ai été contacté sur mes fonds concernant "le" Rimbaud, je précise "le" car je n'avais que la "Saison en Enfer" sur mes étagères, paru en 1964 aux éditions Vialetay, il m'a fallu rapidement constater cette lacune, je n'avais jamais acquis le premier volume de 1962 "les Illuminations" édité sous la même présentation. La question qui m'était posée : "avais-je des éléments pour une meilleure connaissance de cette production ?"
Autant j'ai pu documenter le Verlaine ou Madame Bovary, autant j'avais négligé le Rimbaud, il était donc nécessaire de consulter les archives transmises par la sœur de Jacques Vialetay. Le travail de Mariette Lydis avait bien laissé des traces, par contre pas de récit dans les correspondances, juste une citation dans le catalogue d'une exposition à Buenos-Aires en 1964, quelques reproductions photographiques de tableaux exécutés pendant les lectures de Mariette Lydis qui devait se "mettre dans l'ambiance", autour de son sujet.
Dans le dossier "bons à tirer" de Vialetay au dos d'une copie de nombreuses illustrations figure de la main de Mariette Lydis la phrase retenue précédée du numéro de page où elle est censée avoir été lue. De la main de Jacques Vialetay on trouve une indication soit le volume, soit la page où sera insérée la reproduction dans l'édition. J'en déduis que Mariette n'a fait qu'une lecture des œuvres de Rimbaud, que sa sélection date probablement de 1960 ou 1961, et que la répartition en deux volumes fut du seul fait de l'éditeur.
Donc la question revenait à trouver l'ouvrage qui fut la source de l'inspiration de Mariette. Puisque dans la liste des livres de sa bibliothèque, on ne trouve pas de Rimbaud, on n'a que peu de pistes. Nous n'avons pas d'accès à d'éventuels accords (courriers ou contrats) entre les éditions Vialetay directement ou par les correspondances de son agent Carmen Guillard (pas de dépôt à l'Imec). Autre question : une telle édition de luxe (grands papiers, grand format, belle mise en page, 32 illustrations retenues, en faible quantité 290 exemplaires) était surement entrainée par un évènement porteur pour justifier l'engagement de cet investissement. *1
Une recherche sur les éditions des œuvres de Rimbaud était indispensable, le travail avec mes "donneuses d'ordre" l'exigeait. C'était nouveau pour moi, la consultation est encore infructueuse, mais ma curiosité déjà bien satisfaite, je résume ci-dessous sur des éditions "complètes" accessibles en 1960, probablement avec des notes et analyses, qui ont permis à Mariette une analyse plus fine des caractères, peut-être avec déjà des illustrations qui auraient "orienté" Mariette Lydis.
Une édition de 1943 à BA aurait pu être la source, imprimé par l'éditeur VIAU proche des Saint, amis de Mariette, ce livre avec 3 gravures d'un maitre de l'illustration classique argentine, Gustavo Cochet, était un bon candidat, mais juste une reprise de l'édition de 1912 sur l'ordonnance de Paterne Berrichon au Mercure de France (avec une Introduction de Paul Claudel dans mon édition de 1946), ni note, ni présentation, aucune correspondance dans les références de page, il me fallut poursuivre.
Je recherchais donc coté Bibliothèque de La Pléiade de 1954, (deuxième édition de Rolland de Renéville et Jules Mouquet avant la posthume de 1963) les références de pages ne correspondent pas. Mais la référence aux archives de Henri Matarasso et aux écrits de Pierre Petitfils m'ont porté à rechercher leurs ouvrages, la donation à la ville de Charleville en 1954 est un fait qui justifiait une réédition mise à jour du Pléiade. La sortie de "La vie de Rimbaud" par Petitfils et Matarasso planifiée chez Hachette a pu être connue de Vialetay et le motiver dans une édition, mais les œuvres sont disséminées dans le propos et à diverses pages des références recherchées. Le texte par contre, comme celui d'Yves Bonnefoy paru dans "écrivains de toujours" du Seuil en milieu de 1961, s'il a été communiqué à Mariette, aurait pu lui ouvrir un axe de compréhension.
Parmi d'autres éditions, celle de Suzanne Bernard pour les Classiques Garnier en 1960 (mais les pages confirmées encore dans la 2ᵉ édition de 1962 sont sans correspondance), l'édition Bouquins de Robert Laffont et sa préface de Louis Forestier, est nettement trop récente, 1992. Une exposition à la BNF fut organisée pour le centenaire de la naissance de Rimbaud en 1954, préparée par Suzanne Briet archiviste principale ce fut une occasion de présenter énormément de documents (y compris ceux du musée de Charleville récemment issus de la donation Henri Matarasso). A la suite du catalogue de cette exposition, Suzanne Briet a poursuivi son étude et édité en 1956 une première "vie de Rimbaud" titrée "mon prochain" avec une vue très religieuse de la conduite du poète, particulièrement exposée dans le chapitre "Conscience et Inconscience". *2
Mariette a dû retrouver bien des points de convergence dans la personnalité de Rimbaud. Elle qui imaginait des personnages fantastiques, rêvait d'un monde qu'elle concevait de grandes libertés tout en observant les grandes misères des êtres, qu'ils soient pauvres, infirmes ou dépravés, dont les traits les plus noirs excitaient son inspiration. Les voyages de l'un, avec ses moyens limités, la confrontation à la guerre puis la révolte, enfin la fuite, devaient remonter ses souvenirs. Le décryptage des astres à travers le zodiaque, l'évolution des croyances dans les religions lui permettaient une interprétation bien originale de sa lecture de Rimbaud, le rapprochement entre texte de l'un et pointe sèche de l'autre nous réserve bien des surprises.
Il me reste à espérer la trouvaille d'un lecteur, peut-être l'édition Mercure de France d'Hartman de 1957, la Pléiade originale de 1946, une autre ?
Donc mes points de repère sont les pages 108 pour "Chercheuses de poux" et 211 pour "Enfance".
Notes :
*1 - Jacques Vialetay a renouvelé l'édition en deux volumes des œuvres de Rimbaud en 1965, encore en grand format, cette fois vendu sous reliure (Pleine Reliure Cuir Grainé, Plats Estampés — d'où la couverture de cet article) avec 20 aquarelles de Paulette Humbert, tiré à 2500 exemplaires dont 520 "grand papier". (Une comparaison serait utile pour voir si l'impression a conservé la typographie originale, ou seulement la mise en page effectuée comme pour les premières par Henri Jonquières, souvent associé de Vialetay). La préface de Charles Moulin compare bien les conflits des commentateurs dans les interprétations de l'auteur. Très utile aussi figure une bibliographie restreinte qui pourrait comporter les éditions de référence pour Vialetay, mais la séparation en 2 tomes "Poésies" pour le premier, les autres textes dans le second, plus complet que les textes des éditions 62-64.
Jacques Vialetay et Jacqueline Favre, sa sœur, ont encore édité à 250 exemplaires un Verlaine illustré par Mariette Lydis en 1966 "Romances sans Paroles".
*2 - Je ne pensais pas en 2012, en lisant un article de Tilly sur Suzanne Briet que j'aurais l'occasion d'y revenir. Nous nous croisons fréquemment, est-ce sous l'influence de Mariette ? Suzanne Briet 1894-1989 prit sa retraite en 1955, est retournée dans les Ardennes de son enfance, elle participa aux écrits des Amis de Rimbaud, et déposa ses archives au musée de Charleville-Mézières.
Le carton d'invitation